Zellige Marocain
Le zellige (de l’arabe : زليج, petite pierre polie) est une mosaïque dont les éléments, appelés tesselles, sont des morceaux de carreaux de faïence colorés. Ces morceaux de terre cuite émaillée sont découpés un à un et assemblés sur un lit de mortier pour former un assemblage géométrique. Le zellige, utilisé principalement pour orner des murs ou des fontaines, est un composant caractéristique de l’architecture mauresque, originaire du Maroc 1,2,3, présent en Andalousie et dans de rares cas en Algérie et en Tunisie. Au Maroc, toutes les maisons traditionnelles en sont munies en signe décoratif 4,5, mais c’est aussi devenu le cas pour les maisons modernes.
Sommaire
Historique[modifier | modifier le code]
Sans doute inspiré de la mosaïque romaine puis byzantine6, le zellige apparaît au Maroc, au Xe siécle1, d’abord avec des nuances de blanc et de brun. Il s’est ensuite épanoui au xive siècle sous la dynastie des Mérinides 7 avec l’utilisation surtout du vert et du jaune. Les Mérinides l’ont largement utilisé notamment à Fès et Meknès2 qui restent les centres de cet art. Au XVIème siècle, apparaît l’école de Tétouan, qui pratique l’art du zellige au tons prédominants de vert turquoise, bleu pâle, jaune, brun et blanc5. Le rouge ne sera utilisé qu’à partir du xviie siècle.
Des émaux aux teintes naturelles continuent à être utilisés au Maroc. Les techniques de fabrication ont peu évolué depuis la dynasties en question. Le zellige est un élément de l’architecture arabe-andalouse qui a su s’adapter aux styles de décoration contemporains tout en préservant un mode de fabrication artisanal.
Le zellige est utilisé pour revêtir des murs, mais aussi parfois des sols. Les carreaux utilisés ont alors une épaisseur d’environ 2 cm. On utilise parfois alors un carré d’environ 10 × 10 cm aux coins coupés pour être combiné avec un cabochon de couleur. Pour habiller les sols on utilise également le bejmat, pavé rectangulaire d’environ 12 × 4 cm, souvent posé en chevron.
Certaines familles marocaines d’origine andalouse ont en fait leur spécialité depuis plus de 700 ans, tels que les Megzari, qui étaient à Grenade et ont débarqué à Fès avec la Reconquista.
Images[modifier | modifier le code]
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Sol en pierres noires avec cabochons ier siècle, maison des Ceii, Pompéi.
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Tombeaux saadiens, xvie siècle, Marrakech, Maroc
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Détail d’un panneau de zellige, Grande Mosquée, Paris
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Fabrication des zelliges8[modifier | modifier le code]
La première étape de la fabrication est le moulage de l’argile (mzahri en arabe). S’ensuit le calibrage et le séchage du carreau formé, puis sa première cuisson. Les carreaux, d’une dizaine de cm de côté, sont ensuite émaillés et cuits. Les carreaux de différentes couleurs sont ensuite découpés selon des formes géométriques définies qui permet leur imbrication. Cette découpe artisanale s’effectue avec un marteau tranchant qui laisse apparaître un fin liseré de terre cuite mise à nu sur le pourtour des morceaux de carreaux découpés (« tesselles »). Le kassar est l’artisan chargé de tailler les carreaux en tesselles. Son marteau tranchant est nommé manqach. Après cette première découpe, l’étape suivante est le khallaç qui consiste à chanfreiner les tesselles en leur donnant des arrêtes régulières. On nomme en arabe « mâalem » l’artisan qui élabore les motifs géométriques, parfois d’une grande complexité. Il est en général capable de dessiner et d’assembler de mémoire les tesselles géométriques, et de les encoller directement sur les murs à décorer.
Le combustible des fours traditionnels était les feuilles de palmier, les grands chardons blancs, et les branches de laurier rose.
Le mâalem Alaoui au milieu du xxe siècle a révolutionné la technique de pose des zelliges. À cette époque, la faïence décorative ne se limitait plus aux espaces sacrés ou intimes mais décorait aussi les monuments publics. Le système imaginé par le mâalem Alaoui permettait une pose plus rapide et plus solide. Les tesselles ne se posaient plus une à une sur les murs mais par panneaux entiers. À partir d’un tracé sur le sol, on pose les zelliges à l’envers sur du savon noir, on les asperge de stuc mélangé avec de l’eau. On les recouvre ensuite d’une épaisse couche de mortier qui tient le tout. Les commandes royales ont permis de donner un nouveau souffle à l’artisanat du zellige (le mausolée Mohammed-V à Rabat et la mosquée Hassan-II à Casablanca.
L’acheminement de l’argile à l’atelier se fait avec des doubles couffes chargées à dos d’ânes. Les artisans concassent les blocs d’argile et les mettent à détremper dans les bassins creusés à même le sol de la cour. L’artisan descend dans la fosse et triture l’argile avec ses mains pour faire pénétrer l’eau. La pâte obtenue est égouttée sur les bords de la fosse puis reléguée en masse dans un coin de l’atelier. Quand elle est égouttée, l’argile est étalée sur les terrasses pour le séchage au soleil pendant les mois d’été. Pendant l’hiver, les employés émaillent, cuisent et découpent les carreaux.
Différentes couleurs des zelliges[modifier | modifier le code]
Aujourd’hui, la palette des couleurs du zellige s’est singulièrement enrichie de couleurs vives qui permettent de multiplier les compositions à l’infini.
L’émail de fond de couleur blanche est obtenu en enduisant les pièces cuites une première fois avec de la calcine (khfîf) et du sable siliceux en suspension dans de l’eau. La calcine est un mélange d’étain (15 parties) et de plomb (100 parties) calciné au four pour obtenir des oxydes, puis broyé au moulin des faïenciers.
Pour un blanc plus pur, le taux d’étain est augmenté. Le bleu est obtenu avec de la poudre de smalt (brâya, ‘elja) importée de l’étranger. C’est une couleur artificielle fabriquée en fondant de l’arséniure de cobalt naturel, préalablement grillé pour donner un oxyde de cobalt, avec du quartz et de la potasse. Aujourd’hui, le smalt est importé pour avoir une couleur plus vive que le minerai de cobalt du Sud marocain.
Le brun est obtenu au moyen de minerais locaux de fer oligiste ou de manganèse (moghnâsîya kahla). Selon la présence ou non du manganèse, il peut présenter des teintes violacées ou se rapprocher du noir.
Le jaune est issu de minerais de fer locaux du groupe de la limonite ou avec de la stibine (sulfure d’antimoine naturel).
Le vert est le résultat de l’ajout à l’émail blanc de l’oxyde de cuivre préparé par les faïenciers à partir de débris de cuivre rouge achetés aux dinandiers ou de chalcosine (sulfure de cuivre naturel).
Le rouge et l’orange sont les nouvelles couleurs réalisées avec des pigments de synthèse importés que l’on a commencé à utiliser au Maroc au xviie siècle.
Signification des zelliges[modifier | modifier le code]
Le mâalem, le « maître d’œuvre » réunit ces différentes formes géométriques selon un schéma qui obéit à des règles précises de construction selon la tradition.
Les dessins géométriques ou les motifs floraux répétés à l’infini s’agencent avec des ornements épigraphiques écrits en caractères cursifs ou coufiques, excisés pour former de véritables tapis minéraux d’une grande harmonie de formes ou de couleurs. Les entrelacs géométriques se déroulent à partir d’une étoile centrale (testîr), les formes végétales (tourik), rinceaux, acanthes ou palmettes s’entrecroisent pour remplir les espaces vides ou créer des frises et encadrements. L’entrelacs islamique se construit sur la base d’une ou plusieurs figures régulières pouvant être situées dans un cercle et se développe en s’épanouissant autour du centre, créant un polygone étoilé, les proportions de la figure de base se répercutant sur la construction mosaïque générale.
Cette œuvre universelle s’adresse à tous, sans distinction de langue ou de culture. Il ne s’agit pas de raconter une histoire, ni d’exprimer des sentiments, ni d’imiter la nature. Les dessins des zelliges sont toujours issus de calculs mathématiques.
Par la force de leur abstraction, ils réussissent à créer un ordre numérique établi inexorablement et un environnement purement formel dans des espaces protégés (demeures, palais, édifices religieux) s’opposant ainsi au chaos du monde extérieur et créant un profond sentiment de calme.
L’harmonie se résume à l’unité dans la multiplicité (al-wahda fil-kuthra), ce précepte servant de base pour la croyance monothéiste ou pour l’art abstrait musulman. L’art du zellige se traduisant par une répétition à l’infini de formes géométriques qui incitent ainsi à la méditation. Le rendu hypnotique de ses motifs fait écho à la grandeur infinie de Dieu. L’art du zellige se conforme et reflète chacun des principes de la foi.
Cette construction d’un univers abstrait fait de formes, de couleurs et de rythmes est aussi une incantation à la gloire de la beauté de l’univers.
Différentes utilisations du zellige[modifier | modifier le code]
Les faïences émaillées à l’extérieur sont la forme la plus répandue de la céramique marocaine. Les plus anciennes céramiques décorées sont les frises en terre cuite, émaillées qui ornent à Fès les mosquées Karaouyine et celles des Andalous (xie siècle) et à Marrakech les minarets de la Koutoubia et de la mosquée de la Kasbah au xiie siècle par les souverains Almohades.
Aujourd’hui, les zelliges sont sortis de l’espace architectural pour investir les écrans de télévision sous forme de logo, servir de décoration pour les publicités avec des rosaces ou des frises, pour la vaisselle et l’ameublement.
Hadj Hassan a inventé une fontaine murale avec des maîtres faïenciers de Fès en fixant les faïences sur des résines souples permettant d’alléger les panneaux. Quand les frises sont sèches, Hadj Hassan les stocke sous forme de rouleaux. Cette innovation a permis de faciliter le stockage, d’éviter la casse lors du transport et l’adaptation de panneaux souples sur n’importe quelle surface à décorer. Les zelliges ont été aussi utilisés pour la mode : des mannequins ont porté des modèles de djellabas, de caftans ou de jeans brodés de motifs géométriques élégants.
En peinture, Matisse a commencé sa collection de carreaux nasrides et a réalisé ses premières gouaches découpées (les Nasrides sont les princes andalous vivant à Grenade au xive siècle et les zelliges de Fès sont les héritiers des faïences nasrides).
Des peintres marocains ou étrangers ont intégré la marqueterie de faïence dans leurs œuvres.
Annexes[modifier | modifier le code]
Articles connexes[modifier | modifier le code]
Bibliographie[modifier | modifier le code]
Maroc[modifier | modifier le code]
- Gabriel Camps, Éliane Lenoir, Maurice Lenoir et al., L’ABCdaire du Maroc, Paris, Paris musées/Flammarion, coll. « L’ABCdaire [Série Archéologie et civilisations] » (no 85), 1999, 120 p. (ISBN 2879004845, 9782879004846, 2080126741 et 9782080126740, OCLC 421784208), ?[réf. non conforme]
- Museum with No Frontiers, « Le zellige », dans Le Maroc Andalou : À la découverte d’un art de vivre, Casablanca/Aix-en-Provence, Eddif/Édisud, coll. « Arte islamica nel Mediterraneo », 2000, 263 p. (ISBN 9981090549, 9789981090545, 2744901652 et 9782744901652, OCLC 44746592), ? [début du chapitre en ligne [archive]]
- Ayed Benamara, Max Schvoerer, Mustapha Haddad et Aomar Akerraz, « Recherche d’indices sur les techniques de fabrication de zelliges du xive siècle (Chellah, Maroc) », Revue d’archéométrie, no 27, 2003, p. 103-113 (lire en ligne [archive])
- Nadia Ben Moussa (ill. Mireille Goëttel), Raconte-moi le zellige, Casablanca, La Croisée des chemins, coll. « Raconte-moi », 2004, 92 p. (ISBN 9981896500 et 9789981896505, OCLC 166647430)
- Roger Bastien, Islam, Géométrie et Architecture, Raleigh, Lulu.com, 291 p. (ISBN 1446156095 et 9781446156094) [aperçu en ligne [archive]] — L’art du zellige au Maroc est régulièrement abordé dans cet ouvrage d’un enseignant.
- Maroc (trad. Sophie Brun et Sophie Paris), Paris, Guides Gallimard, coll. « Bibliothèque du voyageur », 2013, 368 p. (ISBN 2870096860 et 9782870096864, OCLC 493066047), ?[réf. non conforme]
Liens externes[modifier | modifier le code]
- « Zellige » [archive], sur BDLP-Maroc, Québec, Université Laval — Définition, variantes graphiques, citations, commentaire et renvois linguistiques, origine du terme et français de référence.
- Histoire du zellige en images [archive]
- (en) Document pédagogique sur le zellige réalisé par le Metropolitan Museum of Art de New York [archive]
- (en) Le motif géométrique dans l’art islamique [archive]
Notes et références[modifier | modifier le code]
- Jean Constant, Hyperbolae: Open curves, Hermay NM, 2018, 47 p. (lire en ligne [archive]).
- « Zellige » [archive], sur HiSoUR Art Culture Histoire, 1er juin 2018 (consulté le 28 mars 2020)
- Islam art et géométrie, BASTIEN (lire en ligne [archive])
- Voir Bibliographie : Maroc
- Islam art et géométrie [archive], éd. Bastien, p. 3
- Ivo Grammet, Min Dewachter et Els De Palmenae et al. (pour l’Etnografisch Museum d’Anvers), Maroc : Les Artisans de la mémoire, Gent, Snoeck, 2006, 334 p. (ISBN 9053495770 et 9789053495773, OCLC 70709383), ?[réf. non conforme]
- A. Touri et al., Le Maroc Andalou: À la découverte d’un Art de Vivre, MWNF, 2015 (lire en ligne [archive]), p.283.
- Ayed Benamara, Max Schvoerer, Mustapha Haddad et Aomar Akerraz, « Recherche d’indices sur les techniques de fabrication de zelliges du xive siècle (Chellah, Maroc). », Revue d’archéométrie, vol. 27, no 1, 2003, p. 103–113 (DOI 10.3406/arsci.2003.1046, lire en ligne [archive], consulté le 20 août 2017).